« Maman ! »
Le cri fuse de la plage désertée qu’un garçonnet vient de quitter pour s’élancer dans l’océan tranquille de couleur bronze au soleil couchant.
Plus loin dans l’eau, une femme se redresse. Elle a de l’eau jusqu’à la poitrine.
« Qu’est-ce qu’il y a, mon chéri ? »
L’enfant continue d’avancer, laissant derrière lui un sillage d’eau en fusion.
- J’ai froid, dit-il en haletant légèrement, et puis je m’ennuie.
- Si tu as froid, tu ne devrais pas rester dans l’eau. Retourne sur la plage, sèche-toi et habille-toi, je vais venir.
- Viens avec moi.
- Je voudrais marcher encore un peu dans l’eau.
- Mais pourquoi ? Tu le fais déjà depuis longtemps.
- Ça me fait du bien. Tu n’es pas content d’être ici ?
Le garçon esquisse une grimace tout en se trémoussant dans l’eau.
- Si, si… Mais je ne connais personne…
- Nous ne sommes là que depuis quelques jours, tu vas bien vite te faire des copains. Tu n’en as pas à l’école ?
- Ils se connaissent tous, ils étaient dans la même classe l’année dernière.
- Tu peux tout de même bien leur parler !
- Oui…
- Oui quoi ?
- Ben ils n’ont pas trop envie. Il y en a un qui m’a demandé d’où je venais.
- Et tu lui as répondu ?
- J’ai fait comme tu m’as dit, j’ai répondu que je venais de la région parisienne.
- Et alors ?
- Ils ont tous éclaté de rire.
- C’est malin. Tu leur as demandé pourquoi ?
- Euh non…
- Eh bien tu le feras. Tu finiras bien par t’entendre avec eux, il n’y a pas de raison.
- On rentre maintenant ?
- Oui, bientôt. Et notre maison, tu l’aimes bien, hein ? Tu as ta chambre à toi tout seul maintenant !
- Moi j’aimais bien dormir dans le bureau de papa. Et puis de là-haut, on voyait la ville et ses lumières…
- Oui, mais ici, on a une maison à nous tout seuls, avec même un petit jardin. La propriétaire veut bien qu’on s’en occupe. Pourquoi tu ne le fais pas ?
- Je sais pas quoi faire. Et puis ma chambre, le soir, j’ai un peu peur. Je suis tout seul là-haut. Pourquoi tu ne viens pas dans la chambre d’à côté ?
- Tu sais bien pourquoi… Mais bientôt je viendrai m’y installer.
- C’est à cause de l’escalier, hein ?
- …
- Et papa, il viendra ici ?
- Je t’ai déjà expliqué. On a promis de ne plus en parler.
- Tu crois que je le reverrai un jour ?
- Je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui décide.
- C’est qui alors ?
- Écoute, c’est trop compliqué pour t’expliquer maintenant, et puis je n’en ai pas envie. Zut ! Allez, on rentre…
- Ah ! Alors on va aller faire les courses en vélo ?
- Non, pas encore. On ira dans l’épicerie d’à côté.
- Mais il n’y a rien, pourquoi on ne va pas dans un magasin plus grand, comme on faisait là-bas ?
- Parce que c’est trop loin. On ira bientôt, promis.
- Quand ?
- Il faut que je m’organise. Je dois déjà trouver un travail.
- Tu vas encore travailler le soir ?
- Non, non, c’est fini.
Ils ont rejoint la plage. La femme essuie l’enfant puis en fait de même. Elle fourre les serviettes dans un grand sac. Ils s’habillent en silence puis gagnent les quelques marches qui mènent à la route. Elle les monte avec difficulté et ne peut réprimer un petit cri de douleur en franchissant la dernière plus haute que les autres.
- Tu as encore très mal, maman ? s’enquit le garçonnet.
- Non, mon chéri, je vais mieux, tout va bien aller, je te promets.
Ils traversent le trottoir pour gagner le bord de la route. Elle essuie d’un geste furtif une humidité au coin de son œil tout en jetant un regard en biais vers le garçon. Il regarde déjà, de l’autre côté de l’avenue, la rue qui mène plus loin à la petite maison. Elle esquisse un sourire :
- Donne-moi la main pour traverser.